Joseph de Monbeton De Brouillan, dit Saint-Ovide

MONBETON DE BROUILLAN, dit Saint-Ovide, JOSEPH DE, officier dans les troupes de la Marine, gouverneur de l’île Royale, né à Bourrouillan (dép. du Gers, France), en 1676, décédé à Saint-Sever (dép. des Landes, France) le 4 avril 1755.

Le père de Joseph de Monbeton de Brouillan, dit Saint-Ovide, était le frère de Jacques-François de Monbeton* de Brouillan ; sa mère s’appelait Charlotte Des Roches Duplesy. Saint-Ovide ne se maria jamais mais on lui connaît au moins une aventure. À Plaisance (Placentia, T.-N.), aux environs de 1705, il priva une certaine Renée Bertrand, âgée de 15 ans, de « ce qu’il y a de plus sacré dans la religion ». Il ne semble pas avoir été obligé de reconnaître l’enfant qui naquit. Par la suite, Renée Bertrand épousa le jeune Michel Leneuf* de La Vallière et de Beaubassin, qui servait à l’île Royale (île du Cap-Breton) sous les ordres de Saint-Ovide.

Entré au service avec le grade d’aspirant de marine en 1689, Saint-Ovide suivit son oncle, Jacques-François de Monbeton, à Plaisance, en 1692, en qualité d’enseigne dans les troupes de la Marine. II fut promu lieutenant en 1694 puis capitaine en 1696. Ce fut pendant qu’il était en service à Plaisance qu’il accomplit les plus hauts faits d’armes de sa carrière en Amérique. En 1696 il fit connaissance avec cette guerre de coups de mains qui caractérisait les rapports entre Anglais et Français à Terre-Neuve ; lors d’une opération commandée par son oncle, il débarqua, à la tête d’un détachement, à la baie des Taureaux (baie Bulls) en septembre et délogea les Anglais de deux de leurs positions. À compter de novembre de la même année, il participa à la campagne intensive de cinq mois dirigée par son oncle et Pierre Le Moyne* d’Iberville, laquelle dévasta presque tous les établissements anglais de l’île. Il accompagna également l’escadre d’André de Nesmond à St John’s en 1697. Pendant les années qui suivirent, il connut un répit dans ses activités guerrières. Toutefois, à Plaisance, à l’instar des autres hauts fonctionnaires français, il fut victime des menées de l’irascible commandant par intérim, Joseph de Monic*. Par deux fois il fut mis en prison mais lorsqu’il commença à souffrir de troubles oculaires on le mit en consigne à sa résidence.

Saint-Ovide se rendit en France, en congé, à l’automne de 1705, puis retourna à Plaisance en 1707 avec le grade de lieutenant de roi. La confiance qu’il sut inspirer à son nouveau supérieur hiérarchique, Philippe Pastour* de Costebelle, ne devait pas tarder à entraîner de sa part l’action la plus distinguée de sa carrière, à savoir l’attaque sur St John’s en 1709. À l’automne de 1708, Saint-Ovide, qui était à l’origine du projet, recruta 164 volontaires et partit, par terre, avec son détachement hétéroclite en direction de la place forte des Anglais. L’expédition, approvisionnée par Joseph Lartigue, était appuyée par la frégate Vénus portant 50 hommes d’équipage et commandée par Louis Denys de La Ronde : le vaisseau transportait l’artillerie, les munitions et les ravitaillements. L’expédition arriva devant les forts anglais de St John’s aux premières heures du Premier de l’An 1709. À la faveur de l’obscurité, elle passa complètement inaperçue et put prendre position autour du fort William où elle attendit le signal de Saint-Ovide. Ce qui suivit, si l’on en croit le récit personnel du commandant, fut une action d’une rare efficacité, même si les Anglais sous les ordres de Thomas Lloyd* n’opposèrent qu’une défense hésitante. « Jay Crié un vive le Roy [...] Je Guagné les chemin couvert avec quinze a saize hommes et traversée le fossé, malgré le feu des Deux forts je fi Planter Deux eschelle que Jamena et fit monter six hommes [...] lorsque les habitans me virent maistre des Remparts [ils] me firent demandé Cartier. » Toute l’affaire, au cours de laquelle les Français perdirent 3 hommes et eurent 11 blessés, était terminée en un peu plus d’une heure et Saint-Ovide, en reconnaissance de son action, reçut la croix de Saint-Louis. Costebelle dut se rendre compte, toutefois, que ses ressources ne lui permettraient pas de conserver cette prise bien longtemps et, en avril, il donna l’ordre d’abandonner St John’s. Saint-Ovide obéit à regret ; on rasa les forts et on partit avec l’artillerie et les munitions anglaises d’une valeur de plus de 50 000ª.

Saint-Ovide s’engagea ensuite dans une courte carrière de corsaire ; il prit le commandement de la frégate Valeur que lui-même, Costebelle et un certain Lasson (vraisemblablement Georges de Lasson) avaient armée en 1710. Les doutes de Costebelle quant à la compétence de son lieutenant comme marin – « Il ne doit pas se piquer destre bon manœuvrier », écrivait-il de lui – furent confirmés car la Valeur fut vite capturée et son capitaine et l’équipage emmenés prisonniers en Angleterre.

Le traité d’Utrecht ayant accordé l’Acadie et Terre-Neuve à l’Angleterre, la France prit la décision de rétablir ses pêcheries de morue, fort lucratives, à l’île Royale située dans les parages. Saint-Ovidé, qui était de retour en France au printemps de 1713, reçut le commandement de la flûte Semslack avec l’ordre de mettre à la voile à Rochefort afin d’aider l’évacuation de Plaisance. Dès qu’il fut à Plaisance, il prit la tête d’un détachement et se rendit à l’île Royale reconnaître les lieux en prévision d’un établissement permanent. Il y demeura jusqu’à l’automne à titre de lieutenant de roi puis il rentra directement en France « pour s’attirer à la cour tout le meritte », disait Costebelle. Promu lieutenant de vaisseau, Saint-Ovide retourna à l’île Royale en 1714 à titre de lieutenant de roi ; à compter de la fin de 1716, il remplit la charge d’administrateur de la colonie et fut confirmé au poste de gouverneur en avril 1718, par suite de la mort de Costebelle survenue l’automne précédent. Pour sa part, Saint-Ovide semble n’avoir entretenu aucun doute quant à son destin : dès janvier 1715, il avait subjugué un adversaire en lui rappelant de façon nette et précise « qu’il commanderoit un jour et qu’il le [lui] ferait resentir ».

Au cours des premières années, Saint-Ovide régla les problèmes de la colonie de l’île Royale avec un certain succès ; cependant, ce succès relatif fut dans l’ensemble éclipsé par les scandales qui marquèrent les dernières années de son administration. Malgré l’affluence de 3 000 colons dans la colonie en 1716, malgré le manque de nourriture, de matériaux de construction, de transport et de main-d’œuvre, Saint-Ovide réussit quand même à organiser la colonie. La compétence de Saint-Ovide en tant qu’officier ne laisse aucun doute même si, par ailleurs, il était bon vivant et porté à l’indolence. Plusieurs années auparavant, Costebelle avait dit de lui qu’il était « d’un secours important [s’y appliquant] avec beaucoup d’assiduité ». Plus tard, en 1715, il avait fait observer : « Il a tous les tallans dun homme d’Epée et de lettres et il amplifie avec elloquance la beauté des objets dont il veut faire l’éloge. »

Pendant plusieurs années, l’éloquence de Saint-Ovide lui servit surtout à éluder les conséquences de ses rapports acrimonieux avec les hauts fonctionnaires de Louisbourg : les commissaires ordonnateurs Jacques-Ange Le Normant de Mézy et son fils, Sébastien-François-Ange*, de même que les ingénieurs Jean-François de Verville* et Étienne Verrier. Quoique ses désaccords avec les Mézy, père et fils, fussent le plus souvent insignifiants et se caractérisaient par des querelles sur des points de préséance et de rang, le manque d’harmonie et de solidarité administrative qui en résultait fut davantage nuisible au progrès de la colonie que sa mésentente avec les ingénieurs. Les dissensions entre Saint-Ovide et Verville naquirent de points de vue opposés sur l’organisation pratique de la défense de Louisbourg. « Nous ne devons pas estre regardés dans ce pays, écrivait le gouverneur, comme l’est une ville en Europe », mais ce raisonnement, bien que logique, n’avait rien pour rivaliser avec le prestige dont jouissait le corps du génie. En conséquence, Louisbourg fut dotée, à prix d’or, de fortifications de type classique, à l’européenne, alors qu’ « une bonne enceinte [...] bien flanquée sans fortifications razantes qui met à labry d’un coup de main » aurait suffi largement.

Il ne fait pas de doute que la défense des intérêts de la France en Amérique du Nord, pendant la période critique entre la guerre de la Succession d’Espagne et celle de la Succession d’Autriche, fournit à Saint-Ovide les plus belles occasions de sa carrière en Amérique, laquelle s’étendit sur une période de 45 ans. Il avait reçu instruction, au premier chef, d’entretenir la fidélité des Acadiens et des Micmacs envers la France et d’encourager la manifestation de leur hostilité à l’égard des nouveaux maîtres de la Nouvelle-Écosse. La discrétion était de rigueur, il va sans dire : « Vos demarches, écrivait le ministre de la Marine, Maurepas, doivent estre si bien mésurées à Cet egard quil ne faut pas mesme leur [les Anglais] donner lieu de croire qu’on en est informé. » Il est difficile de mesurer l’étendue de la participation de Saint-Ovide dans ce domaine. Les rapports qu’il fit tenir à ses supérieurs hiérarchiques et les instructions qu’il donna aux missionnaires en Nouvelle-Écosse, lesquels étaient en réalité ses agents, portaient l’empreinte de l’énergie et de la détermination. Il montrait tout autant de vigueur lorsqu’il haranguait les Micmacs qui se réunissaient annuellement à Port-Toulouse (St Peters, N.-É.) et à l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) pour y recevoir sous forme de poudre et de balles, de mousquets et d’ustensiles, la récompense de leur fidélité au roi de France. Les documents qui rapportent la conduite de Saint-Ovide à l’occasion d’incidents diplomatiques, en particulier lors des revendications de Thomas Smart* au sujet de Canseau (Canso, N.-É.) en 1718, donnent à entendre qu’il y avait chez lui une certaine dose d’indécision.

L’administration de Saint-Ovide laissa à désirer sous d’autres aspects également. Vers le milieu des années 30, sa participation au commerce à Louisbourg l’avait si bien compromis que sa position de gouverneur devint intenable. La preuve la plus lointaine qu’on ait de ses activités commerciales remonte au premier congé qu’il alla passer en France, en 1705 ; sur le vaisseau du roi qui le ramenait dans son pays il chargea 108/2 quintaux de morue pour le commerce. Ce genre d’activité était, semble-t-il, assez commun parmi les autorités à Plaisance ; en 1706, 13 d’entre eux avaient à leur emploi 92 hommes qui se livraient à la pêche pour leur compte. Saint-Ovide, pour sa part, en avait embauché 14. L’armement de la Valeur, en 1710, fut également une entreprise à caractère privé. De plus, c’est en pensant à ses intérêts personnels tout autant qu’à la gloire des armes françaises que Saint-Ovide avait voulu prendre le commandement de l’expédition contre St John’s en 1709. Par la suite, le conseil de la Marine reçut des plaintes au sujet de la somme des gains qu’il en retira. Peu après son arrivée à Louisbourg, en 1714, Saint-Ovide, qui pressentait le rôle que jouerait Louisbourg comme comptoir de compensation pour le commerce de la France, de l’Angleterre et de leurs colonies respectives en Amérique, « a agepté à lui seul » la cargaison de quatre navires marchands de Boston. Il est aussi manifestement évident qu’il existait, sur le plan local, un réseau compliqué de favoritisme commercial dans lequel étaient impliqués Saint-Ovide et ses subordonnés militaires, entre autres, François Du Pont* Duvivier ; ce réseau opérait dans le domaine des pêcheries et du transport local et il protégeait le commerce de contrebande avec la Nouvelle-Angleterre. Une autre allégation, apparemment bien fondée, va jusqu’à rattacher son nom à une participation d’un quart dans les contrats qu’avaient décrochés François Ganet et Gratien d’Arrigrand, en 1725, pour les travaux du roi.

Vers la fin des années 20, les plaintes contre le contrôle tyrannique que Saint-Ovide exerçait sur le commerce à l’île Royale avaient atteint de si vastes proportions que Maurepas fut obligé de lui servir cet avertissement : « Il est de votre interest quil ne revienne plus de plaintes à ce sujet. » Saint-Ovide, pour sa part, se contenta d’écarter les accusations, les qualifiant de « calomnies que quelque mauvais Esprit de la Lie du peuble a inventé contre moy ». Les critiques, de fait, diminuèrent pendant un certain temps, et cela grâce au séjour en France que fit le gouverneur et qui dura de la fin de 1729 jusque vers la moitié de 1731. Il fut, en fait, promu capitaine de vaisseau à cette époque. Peu après son retour dans la colonie, toutefois, les plaintes à son sujet reprirent de plus belle. Ainsi, en 1733, l’intendant Gilles Hocquart* prétendit que Saint-Ovide et Le Normant, de connivence avec les marchands de Louisbourg, tripotaient les prix des aliments au détriment des commerçants de Québec.

Saint-Ovide retourna en France en novembre 1737 afin de régler des affaires de famille à Bourrouillan. Quoique âgé déjà de 62 ans, il se présenta à La Rochelle au mois de juin suivant, « n’attendant qu’un vent favorable pour regagner l’Île Royale ». Cependant, en septembre, il était de retour à Bourrouillan, et au cours de l’hiver qui suivit, Maurepas, réflexion faite, décida de ne pas le renvoyer à Louisbourg. On lui nomma un successeur, Isaac-Louis de Forant*, au poste de troisième gouverneur de l’île Royale, le 1er avril 1739. Il ne fait pas de doute qu’en haut lieu les motifs de mécontentement au sujet de l’ex-gouverneur ne manquaient pas : la politique commerciale de Versailles avait été virtuellement ignorée depuis un quart de siècle et, bien des années plus tard, François Bigot* se rendra compte lui aussi « des preuves du sacrifice que faisait [Saint-Ovide] des intérêts du Roy pour les siens et ceux de ses créatures ». En même temps qu’il hérita des avant-postes de défense de la Nouvelle-France, Forant, de son propre aveu, se vit aussi donner en héritage le pire groupe d’officiers et d’hommes qu’il eût connu ; il eut également à faire face à un problème d’eau-de-vie qui échappait depuis longtemps à tout contrôle.

Saint-Ovide se retira à Saint-Sever d’où il continua à entretenir certaines relations avec l’île Royale. Entre 1739 et 1753, il disposa à sa convenance de ses biens à l’île Royale : un lot en ville, un entrepôt, du bétail à Louisbourg, des pâturages modérément fertiles à l’entrée du port de Louisbourg et le long de la rivière de Miré. Lorsqu’il mourut, à Saint-Sever, en 1755, il avait tout près de 80 ans. Sa carrière, particulièrement à l’île Royale, est le mieux résumée par la remarque que fit Lahontan [Lom* d’Arce] au sujet de la garnison de Plaisance : « Chaqu’un deux [les officiers] ne regardent Leur poste que comme un passage lucratif ou il ne veulent demeurer que le temps nécessaire pour se faire riches. »

Bernard Pothier


Source

AD, Landes (Mont-de-Marsan), État civil, Saint-Sever, 5 avril 1755.— AN, Col., B, 40, ff.514–517v. ; 51, ff.62v.–63v. ; 52, ff.581v.–586, 586–588 ; 53, ff.590–592v. ; 54, ff.498, 506–507v. ; Col., C11A, 60, ff.280–284v. ; 69, ff.243–246 ; Col., C11B, 1, ff.11–11v., 82–85, 149–164v., 211–211v., 462–464v. ; 2, ff.163–184v. ; 3, ff.76–86, 179v.–180 ; 5, ff.100–104, 340ss ; 10, ff.85–87 ; 18, ff.28–29 ; 19, ff.51v.–52 ; 20, ff.37–37v., 39–39v. ; 21, ff.290–291v. ; 22, ff.149–151v., 158–163 ; 32, ff.64–65 ; Col., C11C, 3, ff.192–215 ; 5, ff.214v.–215, 300–301, 335v. ; 6, ff.4–10, 137–186v., 276–283, 294–299 ; 7, ff.42–50, 263–269v. ; Col., D2C, 222/1, pp.102–103 (copies aux APC) ; Col., E, 53 (dossier Brouillan), 59 (dossier Cailly) ; Marine, C7, 295 (dossier Saint-Ovide de Brouillan) ; Section Outre-Mer, G2, 178, f.279 ; G3, 2 038 (16 oct. 1733) ; 2 041 (22 mai 1752, 27 mars, 4 juillet 1753).— Charlevoix, Histoire de la N.-F. (1744), II : 188, 331–334, 399–400.— Coll. de manuscrits relatifs à la N.-F., II : 145, 559–568 ; III : 27–168.— Journal de l’expédition de d’Iberville en Acadie et à Terre-Neuve, par l’abbé Beaudoin ; lettres de d’Iberville, Auguste Gosselin, édit. ( « Les Normands au Canada », Évreux, 1900).— N.S. Archives, I, 4–105 ; II, 59–107 ; IV, 8s.— DBF, VII : 446.— Le Jeune, Dictionnaire, II : 600–602.— Brebner, New England’s outpost, 57–103.— J.-M. Cazauran, La baronnie de Bourrouillan [...] (Paris, 1887).— Robert Le Blant, Un colonial sous Louis XIV : Philippe de Pastour de Costebelle, gouverneur de Terre-Neuve puis de l’île Royale, 1661–1717 (Paris, Dax, 1935), 78–227.— McLennan, Louisbourg, 10–191.— Parkman, Half-century of conflict, II.— Pastour de Costebelle et les officiers de la garnison de l’île Royale, Nova Francia, II (1926–1927) : 177–180.
© 2000 University of Toronto/Université Laval
Source document :
Dictionnaire biographique du Canada en ligne
, Bibliothèque nationale du Canada et archives nationales du Canada

Dernière mise à jour : ( 22-02-2009 )