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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Le français acadien (dialecte) - Partie 1 Version imprimable


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Introduction

En Acadie, comme dans toutes les cultures, la langue est intimement liée à la question identitaire. Petit îlot francophone dans une mer anglophone qu'est l'Amérique du Nord, l'Acadie de l'Atlantique associe la langue française à un véritable outil de promotion nationale.

L'appellation «français acadien» sert à désigner le dialecte parlé dans les provinces de l'est du Canada. Le français acadien est, avec le français québécois, l'une des deux variétés d'origines du français canadien. Le français acadien se distingue non seulement de la référence que constitue le français parisien, mais il diffère des autres variétés canadiennes de français qui se rattachent surtout au français québécois. Le caractère particulier du français acadien et son statut actuel sont le résultat de nombreux facteurs d'ordre historique, politique et social qui ont marqué la communauté de langue française qui vit aujourd'hui en Acadie et à laquelle a donné naissance un groupe de colons venus de France dans la première moitié du 17e siècle.

image des aires géolinguistique de france Les premières familles qui se sont établies en Acadie sous les auspices du sieur d'Aulnay sont issues de plusieurs régions françaises, mais les efforts de recrutement étant effectué dans certaines régions spécifiques, un grand nombre de ces ménages proviennent de l'ouest de la France, principalement : Poitou, Aunis, Saintonge, Guyenne et Pays Basque. Les recherches de Geneviève Massignon confirment ce fait. Elle a relié les noms de familles acadiennes avec ces mêmes noms retrouvés dans l'ouest de la France. Ainsi, presque la moitié de la descendance acadienne tire ses origines de cette partie de la France située au sud de la Loire. Ce fort pourcentage a forcément eu une incidence sur les caractéristiques culturelles de la communauté acadienne, notamment sur son parler, et permet par ailleurs d'expliquer les différences que l'on observe entre les communautés acadiennes et québécoises sur le plan de la langue, puisque moins du tiers de la descendance québécoise est issue de cette région française.

Une grande partie du vocabulaire des parlers populaires d'Acadie est d'origine poitevine-saintongeaise (émigration du 17e siècle). Au 17e siècle, dans la région centre ouest de la France, on parlais le poitevin et le saintongeais (poitevin-saintongeais), un patois qui a tendance à disparaître. On parlait le poitevine-saintongeaise en Vendée, ancien Bas-Poitou, dans les Deux-sèvres, la Vienne, la Charente-Maritime, la Charente, le nord de la gironde. Les parlers des Mauges (49), du Pays de Retz (44) gardent de nombreux traits poitevins.

Pour ce qui est de la Nouvelle-France (Québec actuel), plus de la moitié des colons proviennent des provinces situées au nord de la Loire (Normandie, Perche, Île-de-France, Anjou, Maine, Touraine, Bretagne, Champagne et Picardie), un tiers d'entre eux étaient originaires de provinces situées dans l'ouest de la France et au sud de la Loire et le reste des pionniers venaient de provinces qui ont fourni assez peu d'immigrants à la colonie.




Les variantes du français acadien

Plusieurs facteurs ont agi sur le développement du français acadien, dont l'éclatement de la communauté acadienne en 1755 par le biais du Grand Dérangement, l'isolement géographique qui s'ensuivit, l'absence de droits linguistiques pendant plus d'un siècle et, bien sûr, le voisinage d'une forte majorité anglophone souvent hostile et peu ouverte au fait français. La langue parlée par les Acadiens (le français acadien) est distincte du français standard et du français québécois. Le français acadien est original dans la mesure où il s'est enrichi des contacts avec les anglophones et les Amérindiens, en plus des mots hérités de la France du centre-ouest du 17e siècle. Faire zire, abrier et hardes sont des archaïsmes dont l'usage est encore courant dans certaines régions acadiennes. Le parler de La Sagouine, ce personnage célèbre de l'écrivaine Antonine Maillet, est devenu un genre d'archétype de la langue acadienne. Or, contrairement à la croyance populaire, le parler de La Sagouine constitue un accent acadien parmi tant d'autres. En réalité, l'accent de La Sagouine est peu représentatif du français acadien moderne.

Après le Grand Dérangement, les Acadiens ont formé des enclaves francophones çà et là sur le territoire des provinces de l'Atlantique. C'est grâce à la formation de ces îlots francophones que la majorité des Acadiens ont échappé à l'anglicisation. Toutefois, la distance séparant ces enclaves et leur situation minoritaire par rapport aux anglophones ont créé plusieurs variantes dans le parler acadien. C'est en parcourant les régions francophones des provinces de l'Atlantique qu'on peut constater ces variantes régionales.

Les variantes linguistiques en Acadie ne correspondent pas aux frontières interprovinciales, ni aux limites communautaires. Comme dans toute culture, le français acadien peut varier selon les individus, les générations et les groupes socio-économiques. Les parlers varient beaucoup à l'intérieur d'une même province, tant au niveau de la phonétique que du lexique. Prenons l'exemple de la Nouvelle-Écosse où le parler de Chéticamp au Cap-Breton ressemble peu à celui de la baie Sainte-Marie, mais se rapproche davantage du parler du sud-est du Nouveau-Brunswick. À Terre-Neuve, la colonisation de la péninsule de Port-au-Port s'est en partie effectuée par des Acadiens du Cap-Breton. Ainsi, le parler franco-terre-neuvien actuel s'apparente beaucoup à celui de la région de Chéticamp.

image de l'Aire géolinguistique du domaine acadien Pour sa part, le français acadien du Nouveau-Brunswick est riche de plusieurs parlers régionaux. Dans le nord-ouest et le nord-est de la province, vu la proximité géographique du Québec, il y a une nette influence québécoise sur la langue. Puisque les Acadiens de ces deux régions sont à forte majorité francophone, leur usage de mots anglais est plutôt rare. La réalité des Acadiens du sud-est de la province est cependant toute autre. Selon la linguiste acadienne Louise Péronnet, le parler traditionnel du sud-est du Nouveau-Brunswick est le plus représentatif du français acadien. On y retrouve deux parlers distincts : le premier est traditionnel, et le second, le chiac, est le parler de la nouvelle génération acadienne du sud-est du N.-B.. Le chiac est le résultat des nombreux contacts avec la communauté anglophone, surtout dans le milieu urbain de Moncton. Langue urbaine, le chiac se caractérise par le mélange du français, de l'anglais et du vieux français. Plus que partout ailleurs en Acadie, l'alternance et l'emprunt à l'anglais sont fréquents, pour ne pas dire naturels, dans les communautés acadiennes du sud-est du Nouveau-Brunswick. De plus en plus d'artistes acadiens (sud-est du N.-B.) écrivent en chiac, autant en littérature qu'en chanson. D'ailleurs, l'écriture en parler régional (non seulement en chiac) est un courant qui se manifeste dans les quatre provinces de l'Atlantique.

Le français en situation minoritaire

La première chose qui saute aux yeux, en observant la distribution actuelle de la population, est que les limites du domaine linguistique acadien ne correspondent pas à des frontières politiques. L’Acadie consiste, comme nous venons de le voir, en un ensemble d'agglomérations francophones réparties dans cinq provinces canadiennes et qui débordent sur le territoire de deux autres pays (les États-Unis et la France). Par ailleurs, les communautés acadiennes sont souvent noyées dans un environnement anglophone, ce qui contraste avec la situation de la communauté québécoise qui occupe un territoire relativement étendu et où ce sont les groupes anglophones qui sont circonscrits par les francophones.

Cette situation a des conséquences sur les plans politique et sociolinguistique. Par exemple, l'Acadie ne peut, contrairement au Québec, pratiquer une véritable gestion de sa langue. Elle est soumise à quatre juridictions différentes, si on se limite aux provinces Atlantiques. La majorité de la population acadienne, soit un quart de million de francophones, se situe à l'intérieur du Nouveau-Brunswick, concentrés dans trois grandes régions : celles de nord-ouest, du nord-est et du sud-est. La population de langue française représente aujourd'hui un peu plus de 20 % de la population totale des provinces Atlantiques, proportion s'élevant à quelque 34 % au Nouveau-Brunswick. On comprendra que, dans ces conditions, le fait français dans les provinces Atlantiques est constamment menacé.

Données géolinguistiques

L'Acadie, de par son histoire, est aujourd'hui une entité constituée de plusieurs communautés acadiennes dispersées sur un large territoire. Ces disparités géographiques ont favorisé les régionalismes linguistiques, d'où le besoin de prendre en compte la répartition géolinguistique de chaque acadianisme.

Cette répartition est très variable selon les cas : certains mots sont en usage un peu partout et peuvent se trouver également au Québec (ex. : mitaine, garrocher, achaler) alors que d'autres, très répandus, se limitent à l'Acadie, laissant supposer une origine très précise dans l'ouest de la France (ex. : bâsir, bouchure, cagouet, chalin, zire) où se trouvent d'ailleurs les principales sources lexicales acadiennes. Les acadianismes qui sont attestés un peu partout sur le territoire linguistique acadien reflètent à peu près 20 % des usages linguistiques.

Les influences linguistiques étrangères, notamment celle du français québécois, ont affecté la vitalité des acadianismes dans certaines régions. Plus l'influence du français québécois est grande, plus la masse démographique acadienne doit être importante pour la contrecarrer. Certaines régions, comme la Basse-Côte-Nord, les îles de la Madeleine et le sud de la Gaspésie, tous peuplés d'Acadiens à l'origine, témoignent davantage aujourd'hui de l'influence linguistique québécoise. Le même phénomène se produit aux îles Saint-Pierre et Miquelon, d'abord habitées par des Acadiens venus de France après la signature du traité de Paris en 1763. L'influence de la France tend aujourd'hui à effacer la couleur acadienne qui a prévalu sur ces îles à ses débuts. Enfin, il est évident que l'influence de la langue anglaise est un facteur décisif dans la vitalité linguistique francophone de certaines régions acadiennes, telles que la côte ouest de Terre-Neuve, la région de Tignish sur l'Île-du-Prince-Édouard et la région de Pomquet en Nouvelle-Écosse.

Ces différentes influences expliquent qu'aujourd'hui, la zone linguistique la plus homogène se trouve dans les régions acadiennes des provinces Maritimes où le nombre élevé de locuteurs francophones favorise sa vitalité linguistique. Le pourcentage d'acadianismes retrouvés un peu partout dans les provinces Maritimes est deux fois plus élevé que celui qui englobe tout le territoire linguistique acadien, évalué précédemment à environ 20 %.

L'isolement des différentes communautés acadiennes a fait en sorte que presque la moitié des usages ne sont attestés que dans certaines régions bien spécifiques : des acadianismes ne sont relevés que dans une seule région (ex. : assaye dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, rempart sur l'Île-du-Prince-Édouard), tandis que d'autres sont utilisés un peu plus largement dans deux ou trois régions avoisinantes (ex. : gorziller et baraque au Cap Breton et aux îles de la Madeleine). Les régions avoisinant le golfe du Saint-Laurent ont souvent en commun des termes de pêche inusités ailleurs (ex. : chafaud, saline, nove); cette distribution s'explique par le contact régulier des pêcheurs des différentes régions, alors que la mer agissait autrefois comme principal moyen de déplacement et donc, d'échange. Pour certaines régions insulaires, cette dépendance est toujours actuelle.

Certaines attestations régionales ne correspondent pas à un territoire homogène; cette répartition sporadique peut s'expliquer en partie par le vieillissement de certains termes, entraînant leur absence dans certaines régions (ex : caristeaux, foulerie, perlache). Dans d'autres cas, le mystère demeure quant à leur répartition disparate (ex : rusillon, attesté au sud-est du N.-B., au sud-ouest de la N.-É. et sur la Basse-Côte-Nord).

image aires géolinguistique du domaine Cadien La Louisiane joue un rôle non négligeable dans la vitalité du lexique acadien en Amérique du Nord. Longtemps isolés de leurs racines acadiennes, les Cadiens Louisianais ont conservé des termes qui ont presque disparu des provinces de l’Atlantique aujourd'hui et qu'on peut dénicher dans certaines régions isolées, derniers bastions d'une partie du patrimoine lexical acadien. Nous avons répertorié, par exemple, une trentaine d'acadianismes du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse dont on n'a pu retrouver d'autres traces qu'en Louisiane (ex : embaucher, niger, pienque).

Enfin, ce n'est pas parce qu'une région comprend une plus forte population acadienne que nous y trouvons plus d'acadianismes; ce sont plutôt les régions le plus à l’abri des autres influences linguistiques (notamment celle du français québécois) qui renferment le plus grand nombre d'acadianismes. On retrouve, par exemple, un nombre élevé d'acadianismes dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, en comparaison avec le nord-ouest du Nouveau-Brunswick qui, pourtant, représente un nombre de francophones beaucoup plus important.

Note : Cette page contient l'essentiel pour comprendre ce qu'est le français acadien. Mais si vous voulez en savoir plus, voici la deuxième page intitulée, données historiques.


Lexique des acadianismes sur cette page:

- Abrier: Couvrir, mettre à l'abri. S'abrier avec une couverture. Attesté partout en Acadie et au Québec.

- Achaler:
(1) Attiser, en parlant d'un feu. Achaler un poêle à bois. – (2) Importuner, ennuyer, agacer, taquiner. Arrête de l'achaler !

- Assaye: Procès en cours de justice. Avoir son assaye dans trois semaines.

- Baraque: Abri à foin dont le toit à quatre pans se hausse ou se rabaisse sur quatre poteaux à l'aide de chevilles de fer pour mieux protéger le foin des éléments.

- Bâsir:
Aller, partir, disparaître, souvent de manière subite.

- Bouchure: Clôture. Poteaux de bouchure, bouchure de roches, sauter la bouchure. Le sens de «haie vive» a été attesté comme régionalisme (patois) dans l'ouest et Centre de la France.

- Cagouet:
Nuque, partie postérieure du cou. Recevoir un coup sur le cagouette. Au Québec, cagouette a été relevé au sens de gorge.

- Caristeaux:
Botte sans semelle, de confection amérindienne, faite avec la peau non tannée du jarret d'un orignal, d'un chevreuil ou d'un jeune bœuf. À remarquer que la fourrure est à l'extérieur de la botte.

- Chafaud:
Plateforme en treillis posée sur piquets, construite en bordure de l'eau, servant à sécher le poisson au soleil.

- Chalin:
(1) Éclair de chaleur, sans tonnerre. Un feu chalin. – (2) Lourd, étouffant, en parlant du temps. Le temps est chalin. En Louisiane, air lourd, temps orageux, étouffant.

- Chiac: Variété régionale du français acadien, fortement influencée par l'anglais, surtout sur le plan lexical, en usage principalement chez les francophones du sud-est du Nouveau- Brunswick. Parler le chiac.

- Embaucher:
Commencer à travailler. Travailler avec entrain.

- Faire zire: Provoquer le dégoût ; Ça fait zire, faire zire. Il y a aussi l'adjectif zirable dans le sens de répugnant, dégoûtant (en parlant de quelqu'un ou de quelque chose).C'est zirable.

- Foulerie: Réunion ou corvée organisée pour fouler des étoffes, avant de les tailler et d'en confectionner des vêtements ou d'autres articles.

- Garrocher: (1) Lancer ; Garrocher des cailloux dans la rivière, ou Se garrocher des balles de neige. - (2) Se jeter ; Se garrocher sur quelqu'un. (Utilisé au Québec)

- Gorziller: Donner des frissons, donner la chair de poule à la suite du crissement causé par le frottement deux corps durs, comme entre une pierre et une ardoise. Faire gorziller.

- Hardes:
Vêtements, neufs ou vieux. Les hardes du dimanche. Hardes de dessous (sous-vêtements). Ligne à hardes (corde à linge).

- Mitaine: Moufle, pièce de l'habillement couvrant la main avec une seule séparation pour le pouce (le plus souvent utilisé en hiver). Les mitaines étaient autrefois portées par les hommes seulement, les femmes portaient des gants.

- Niger:
Faire son nid. Des oiseaux qui viennent niger dans le pommier.

- Nove:
Cartilage de la colonne vertébrale de la morue.

- Perlache: Bicarbonate de soude. Mettre de la perlache dans la pâte. En anglais : baking soda.

- Pienque:
Geai bleu (Cyanocitta cristata), oiseau à huppe, aux parties supérieures bleues et aux parties inférieures blanchâtres, avec un collier noir et des points blancs sur les ailes et la queue. En anglais : Blue Jay.

- Rempart:
Galerie couverte, généralement composée d'une toiture et d'un plancher, sans fenêtre ni moustiquaire, construite à même la maison, généralement comme une extension du seuil de la porte. S'installer sur le rempart pour regarder les autos passer.

- Rusillon:
Petit ruisseau.

- Saline: Lieu où est entreposé le sel destiné à la conservation du poisson. Abri où l'on sale le poisson.

-
Zire : Provoquer le dégoût ; Ça fait zire, faire zire. Il y a aussi l'adjectif zirable dans le sens de répugnant, dégoûtant (en parlant de quelqu'un ou de quelque chose). C'est zirable.


Livre Dictionnaire du francais acadien Livre Le glossaire acadien
Je vous recommande le Dictionnaire du français acadien, Yves Cormier, Éditions Fides, 1999.
ISBN 2-7621-2166-3
Le Glossaire acadien de Pierre M. Gérin
ISBN : 2-7600-0245-4



Source texte, définitions et images : Dictionnaire du français acadien, Yves Cormier, Éditions Fides, 1999. ISBN 2-7621-2166-3
Source texte : L'Acadie de l'Atlantique, par Maurice Basque, Nicole Barrieau et Stéphanie Côté, Centre d'études acadiennes, 1999. ISBN 0-919691-87-0
Dernière mise à jour : ( 05-09-2010 )
 
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