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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Évangéline (mythe d'Acadie) Version imprimable

 

Le poème d'Évangéline

L'héroïne acadienne de fiction la plus connue, Évangéline, est le mythe identitaire par excellence. Elle a su toucher le cœur d'une génération d'Acadiens en quête de son identité à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Elle a servi en quelque sorte de liant culturel en pleine Renaissance de la nation acadienne.

En 1847, l'américain Henry-Wadsworth Longfellow publiait un poème intitulé «Évangéline - A Tale of Acadie» où il raconte l'histoire de la Déportation des Acadiens à travers les périples d'un couple, Évangéline et Gabriel.

Le poème de 1 400 vers, écrit en hexamètres, est un poème épique basé sur la tradition orale, mais maints Acadiens le considèrent comme vrai. C'est l'histoire de la jeune fille Évangéline Bellefontaine et de son amant Gabriel Lajeunesse auquel elle est fiancée, qui sont cruellement séparés l'un de l'autre lors de la déportation de Grand Pré (Nouvelle-écosse) en 1755. Les circonstances politiques de la France et l'Angleterre, qui sont perpétuellement en conflit, dictent l'avenir de ces deux jeunes amoureux, condamnés à vivre les multiples périples et pérégrinations que ce conflit engendra. Évangéline erre à la recherche de son être cher, mais le destin semble toujours lui jouer de mauvais tours. C'est à Philadelphie que sa fidélité et sa ténacité sont récompensées : infirmière dans un hospice, elle retrouve son Gabriel qui meurt dans ses bras.


Après la publication en anglais du poème, les éditions en langues étrangères se succèdent en des centaines d'éditions dans toutes les langues principales du monde. Longfellow est acclamé et son avenir financier est assuré. La traduction française paraît en 1853 et les Acadiens s'accrochent à ce poème comme à une bouée de sauvetage, leur apportant une sécurité morale qui semble leur avoir manqué pendant le siècle qui suivit la déportation. À toutes les occasions, l'élite acadienne cite des extraits du poème pour affermir auprès des Acadiens la force de leur race, bâtie par «les pleurs, les larmes et les sueurs de leurs ancêtres».


La traduction en français canadien du poème de Longfellow par Pamphile Le May est publiée en 1865. Le Moniteur acadien, premier journal acadien fondé en 1867, reproduit le poème pour ses lecteurs. Lorsqu'un second journal acadien est fondé - le nom retenu pour ce nouveau messager imprimé qui doit pénétrer dans les foyers acadiens est L'Évangéline - le poème y est publié sous la forme d'un feuilleton.

La publication du poème intégral en français, sous forme de feuilleton, dans les deux journaux français locaux montre l'importance que l'élite acadienne des Maritimes accordait à l'œuvre. Des extraits du poème furent également ajoutés dans le Troisième livre de lecture utilisé dans les écoles acadiennes du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse.

Le poème devient un mythe identitaire pour les acadiens

Le prénom Évangéline n'existait pas dans la communauté acadienne avant la publication du poème. Un bateau fut baptisé Évangéline dans le village de Pubnico dès 1854. Dix ans plus tard, les parents acadiens de la Nouvelle-Écosse prénommaient leurs filles Évangéline.

Au 20e siècle, les fêtes acadiennes organisées en été en Nouvelle-Écosse comportent un concours afin de choisir une Évangéline et un Gabriel pour représenter la collectivité à des activités de relations publiques. Le même phénomène se produit en Louisiane.

Avec l'arrivée d'Évangéline, les Acadiens du Canada et leurs cousins américains de la Louisiane ont trouvé un moyen de se rapprocher. En 1930, le sénateur de la Louisiane, Dudley LeBlanc, fait venir une délégation de Miss Évangéline de la Louisiane à Grand-Pré en Nouvelle-Écosse. En 1931, c'est au tour des Miss Évangéline canadiennes d'aller en Louisiane. L'utilisation délibérée du mythe d'Évangéline par l'élite acadienne, tant au Canada qu'aux États-Unis, contribue à sensibiliser la population acadienne à ses racines.

Autre conséquence de l'arrivée du poème Évangéline sur la scène littéraire : la publication de récits de voyage faisant allusion aux Acadiens et à Évangéline. Deux locomotives de la compagnie ferroviaire Dominion Atlantic faisant le trajet Annapolis-Grand-Pré, mises en service en 1869, sont baptisées Evangeline et Gabriel, tandis que sur l'arche de buissons installée pour les cérémonies d'inauguration de la ligne de chemin de fer, il est écrit «Welcome to the Land of Gabriel and Evangeline».

En cette période de développement d'un nouveau tourisme, Évangéline et sa terre natale constituent une vision romantique de la beauté champêtre. L'héroïne est l'incarnation même de la simplicité et de la loyauté. Le pays est synonyme de paix, de calme, de sérénité et de beauté toute simple. Le nouveau touriste est à la recherche de ce paradis paisible, et c'est ainsi qu'on commence à utiliser le nom d'Évangéline comme outil de marketing.

La Louisiane subit, elle aussi, l'influence d'Évangéline. Deux autres versions de l'histoire d'Évangéline sont écrites là-bas, l'une par Sidonie de la Houssaye et l'autre par Felix Voohries. Madame de la Houssaye raconte l'histoire comme s'il s'agissait d'une légende de famille que sa grand-mère lui aurait racontée. Le couple acadien est réuni à la fin du roman et vit en Louisiane, où il est accepté au sein de la population créole. Si les Créoles ont bien accueilli le roman, les Cajuns de la Louisiane lui ont réservé un accueil plutôt froid.

Felix Voohries a écrit un roman à l'eau de rose en anglais intitulé Acadian Reminiscences : The True Story of Evangeline. Selon Voohries, ce serait sa grand-mère qui lui aurait raconté l'histoire. Les héros de son roman sont Emmeline Labiche et son fiancé Louis Arsenaux. Ils vivent à Grand-Pré, comme Évangéline et Gabriel, et sont eux aussi séparés au moment de la Déportation. Ils se retrouvent en Louisiane sous un chêne, là où s'élève aujourd'hui Saint-Martinville. La joie d'Emmeline fait place au chagrin lorsqu'elle se rend compte que Louis aime une autre femme. Elle devient folle et meurt.

À la suite de la publication de la première histoire d'Évangéline, puis de la version d'Emmeline Labiche, l'activité touristique augmente dans cet état du sud des États-Unis. Qui plus est, l'histoire inspire des cinéastes, des auteurs dramatiques amateurs et professionnels et des compositeurs de musique. Le personnage d'Évangéline est largement accepté, adopté et utilisé dans d'autres formes d'expression tant culturelles que touristiques pendant toute la fin du 19e et au début du 20e siècle.


Bien qu'Évangéline ne soit devenue le catalyseur de la Renaissance acadienne qu'au cours des dernières décennies du 19e et au début du 20e siècle, certains Acadiens pensent aujourd'hui qu'elle symbolise une Acadie silencieuse et résignée; ils préfèreraient mettre en évidence des modèles de comportement plus dynamiques.


Plusieurs écrivains acadiens d'aujourd'hui ont rejeté le mythe d'Évangéline pour le remplacer par d'autres symboles. Ceux qui partagent leur opinion cherchent à développer un sens croissant d'identité acadienne fondé sur la mise en valeur de personnages locaux plutôt que sur des créations étrangères.

Dans sa pièce Évangéline deusse, Antonine Maillet propose une Évangéline qui parle la langue de son peuple. C'est une Acadienne du 20e siècle, qui partage son exil à Montréal avec deux anciens patriotes, un Juif et un Breton. La Sagouine, personnage créé par Antonine Maillet, offre l'image d'une autre femme qui pourrait remplacer Évangéline. Elle a 72 ans et parle l'acadien de Bouctouche, au Nouveau-Brunswick. À l'opposé de la silencieuse Évangéline, la Sagouine raconte, «dans sa langue et avec un humour cinglant, les injustices et les malheurs fort nombreux dont son peuple est victime».

La chanson «Evangeline, Acadian Queen», d'Angèle Arsenault, est une suite d'images d'Évangéline qui nous confrontent au monde moderne d'aujourd'hui tandis que nous traversons quelques-unes des régions acadiennes.

La statue d'Évangéline se dresse, seule, dans le lieu historique national de Grand-Pré. L'endroit rend hommage à un groupe de Français qui a survécu au milieu d'innombrables colons anglais qui se sont vu offrir des terres après la déportation des Acadiens. La statue d'Évangéline se dresse, témoin silencieux et immuable du tragique événement qui se déroula en 1755.

L'amour pur et fidèle, qu'éprouve Évangéline pour Gabriel, symbolise la confiance éternelle, sentiment que de nombreux groupes sociaux peuvent éprouver. Lorsqu'ils ressentent cette confiance, ils voient alors poindre une lueur d'espoir dans les ténèbres de l'intolérance et du rejet. Évangéline est porteuse d'un message à la fois mythique et métaphorique, du flambeau de l'amour et de l'espoir éternels, non seulement pour les descendants directs des Acadiens victimes de la Déportation, mais pour ceux et celles qui cherchent désespérément un sens à une existence vide. Il s'agit d'une fonction fondamentale du «mythe». Aux yeux de milliers de gens, Évangéline est l'image de l'émotion qu'elle incarne, un périple difficile à travers les joies et les peines de l'existence, donnant un sens au grand voyage qu'est la vie.

Site Web dédié à Henry-Wadsworth Longfellow



Source: Extrait d'un article intitulé «Evangeline as Identity Myth», rédigé par Mme Barbara LeBlanc, et qui est paru dans la revue Femmes et Traditions/Women & Traditions de l'Association canadienne d'ethnologie et de folklore. ISBN 0225-2899.



Pour plus d'informations sur le Poème d'Évangéline, vous pouvez visiter : l'exposition Évangéline du Musée Acadien de l'Université de Moncton.


Dernière mise à jour : ( 07-01-2010 )
 
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