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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Hector d’Andigné de Grandfontaine (Gouverneur de 1670 à 1673) Version imprimable

 

ANDIGNÉ DE GRANDFONTAINE, HECTOR D’, officier au régiment de Carignan (1665–1668), gouverneur de l’Acadie (1670–1673). Fils de Hector et d’Anne d’Andigné de Grandfontaine. Baptisé à Ruillé-Froid-Fonds en Mayenne, le 17 mai 1627 et décédé à Brest le 6 juillet 1696.


Grandfontaine appartenait à une famille de très ancienne noblesse angevine. Son aïeul paternel, Gaston d’Andigné, avait acquis (avant 1565) la terre de Grandfontaine dont ses descendants prirent le nom. Cadet de quatre fils, dans une famille qui comptait plusieurs militaires, Hector prit naturellement la carrière des armes et devint chevalier de Malte.

Le 17 août 1665, il arrivait à Québec comme capitaine d’une compagnie du régiment de Carignan-Salières. En octobre suivant, il dirigeait la construction d’un chemin sur le Richelieu entre les forts Saint-Louis (Chambly) et Sainte-Thérèse. Après un hiver à Québec, il prit part à la campagne de MM. de Prouville de Tracy et de Rémy de Courcelle contre les Agniers et signa, le 17 octobre, le procès-verbal de la prise de possession de leur territoire (BRH, XIII (1907) : 350s.). Talon le recommanda parmi les «officiers qui méritent d’être distingués» et le remmena probablement en France à l’automne de 1668.


L’année suivante, lorsqu'il fut question d’organiser des compagnies de marine pour la défense du Canada, Grandfontaine, avec quatre anciens officiers de Carignan, offrit ses services pour lever une compagnie, avec l’intention de prendre une concession et de s’établir au Canada. L’offre fut acceptée, mais Grandfontaine, au lieu de retourner au Saint-Laurent, fut destiné à l’Acadie dont la rétrocession à la France décidée par le Traité de Bréda (1667) avait été retardée par l’opposition de Sir Thomas Temple. Désigné par une commission du roi le 22 juillet 1669 pour recevoir cette restitution, il ne put cependant partir tout de suite. Le printemps suivant (20 février 1670), il reçut une nomination de gouverneur pour trois ans et s’embarqua à La Rochelle avec sa compagnie sur le Saint-Sébastian. Il fut le premier gouverneur français en Acadie après l’occupation anglaise de 1654–1670.

Comme le gouverneur anglais Temple résidait à Boston, Grandfontaine s’y rendit et fut courtoisement reçu. Il présenta les lettres de Charles Il et de Louis XIV dont il avait été muni et signa avec Temple un accord réglant les conditions de la restitution le 7 juillet 1670. Il vint ensuite recevoir la restitution de Pentagouet de Richard Walker (17 juillet) et envoya son lieutenant, Pierre de Joybert de Soulanges et de Marson, recevoir les forts de Jemseg (27 août), Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.) et Port-La-Tour (2 septembre).


Tout en lui laissant le choix de l'endroit où il établirait son poste principal, ses premières instructions, rédigées par l’intendant de Rochefort, Colbert de Terron, indiquaient une nette préférence pour Pentagouet afin de faire obstacle aux empiétements anglais. Grandfontaine y établit donc sa capitale. Le choix de cet endroit, situé en territoire contesté et séparé de l’établissement principal de Port-Royal par la baie Française (baie de Fundy), allait créer de sérieuses difficultés; mais Grandfontaine ne faisait qu’obéir aux directives reçues.

Dès son installation, il rendit compte au roi et au ministre en leur envoyant plusieurs cartes et mémoires. Colbert lui répondit le 11 mars 1671 en lui dressant un minutieux programme et lui rappelant d’agir seulement d’après les ordres du gouverneur et de l’intendant du Canada. Cette soumission à des autorités multiples en France et au Canada rendait son action difficile et il n’était pas aisé de plaire à tous ces chefs. L’intendant Talon s’intéressait heureusement à l’Acadie et il y eut alors, de part et d’autre, un sérieux effort concerté pour reprendre en main et développer cette colonie.

Le plus urgent était de rétablir l’ordre et de satisfaire aux besoins des habitants. Depuis 20 ans, les contestations entre les héritiers Charles de Menou d’Aulnay, Emmanuel Le Borgne et Charles de Saint-Étienne de La Tour, ainsi que l’absence de gouverneur, avaient provoqué une espèce d’anarchie. La population de Port-Royal, abandonnée à elle-même, réussissait à vivre de ses cultures et de ses troupeaux, mais elle manquait de vêtements et d’outils. L’isolement avait contribué à l'apparition d'un esprit d’indépendance. Grandfontaine révoqua l’autorité du seigneur Alexandre Le Borgne de Belle-Isle, dont les abus provoquaient des plaintes, et recommanda aux habitants de vivre en paix en attendant qu’un représentant du roi puisse régler leurs conflits et leur offrir un règlement. Les approvisionnements qu’il avait apportés de France et ceux qu’il obtint de Québec ou de Boston parèrent aux premières nécessités. Il s’occupa aussi de faire construire des barques pendant que Talon réclamait des métiers à tisser en leur nom.

L’effort principal porta sur le peuplement. En plus des soldats et engagés arrivés avec le gouverneur, l’Oranger amena l’année suivante 60 passagers, dont une femme et quatre filles; la cour paya 100ª pour le passage et l’installation de chacun. Les soldats semblaient se plaire dans ce pays, car au cours des années suivantes, une quinzaine songèrent à s’y établir. Il est impossible de préciser combien de nouveaux colons se fixèrent alors en Acadie, mais ce fut certainement l’apport le plus considérable depuis l’époque de Razilly et d’Aulnay. L’établissement de Pentagouet, trop exposé et mal pourvu de terres arables, dura peu, mais on retrouve plus tard plusieurs de ses habitants établis à Port-Royal et Beaubassin (Chignecto).

Talon, afin de mieux assurer la défense réciproque de l’Acadie et du Canada, avait formé le projet d’établir une liaison directe entre la baie Française et le Saint-Laurent, en ouvrant une route par les terres et en fondant une série d’habitations comme postes de relais. Deux routes s’offraient : celle de la Kennebec et celle de la rivière Saint-Jean. Afin de les reconnaître, Talon envoya de Québec son secrétaire Patoulet et deux équipes commandées par Daumont de Saint-Lusson et Louis de Niort de La Noraye. De son côté, Grandfontaine envoya deux Français et deux sauvages vers Québec et établit un premier groupe de colons au portage de Kidiscuit. La route entre la Kennebec et la Chaudière se révéla difficile et peu sûre. On lui préféra celle de la rivière Saint-Jean, déjà très fréquentée, et dès 1672, le gouvernement de la Nouvelle-France y accordait des seigneuries aux frères Joybert et à Jacques Potier de Saint-Denis, pendant que Martin d’Aprendestiguy, sieur de Martignon, établi à l’embouchure de la rivière, recevait confirmation de ses droits.

Le ministre Colbert avait demandé un recensement annuel de la population. Grandfontaine chargea le père Laurent Molin, cordelier, curé de Port-Royal, de réaliser ce relevé. Celui-ci constitue la première liste encore subsistante des colons acadiens. Il indique environ 400 personnes établies à Port-Royal, au cap de Sable et à la côte de l’Est, mais ne mentionne pas les nouveaux colons de Pentagouet et de la rivière Saint-Jean, de sorte que la population totale de l’Acadie, en incluant les garnisons, devait atteindre à peu près 500 âmes en 1671. Ce chiffre révèle bien la faiblesse de la colonie.


Le Traité de Bréda n’avait statué que sur la restitution des forts, sans préciser les limites de l’Acadie. Grandfontaine situait ces limites à la rivière Saint-Georges et se flattait de gagner à l’allégeance française, les colons anglais établis en deçà par ses bons procédés. Il chercha à maintenir les bonnes relations avec Boston, dont il avait besoin pour ses approvisionnements. Il acheta une caiche de Temple, fit venir des charpentiers de Nouvelle-Angleterre et accorda des permis de pêche aux navires bostoniens. Il s’efforça cependant d’empêcher les marchands anglais de venir troquer les fourrures en territoire français. Il fit réparer le fort de Pentagouet et y maintint une garnison d’une trentaine d’hommes commandée par Jean-Vincent d’Abbadie de Saint-Castin. De petits détachements d’une dizaine de soldats gardaient les forts de Port-Royal et Jemseg. Le seul incident franco-anglais fut la prise d’un vaisseau français, venant de la Jamaïque, au sujet duquel Grandfontaine envoya son lieutenant présenter des réclamations à Boston. Le ministre avait aussi recommandé l’établissement de pêches sédentaires, mais Grandfontaine, occupé par l’installation de ses colons et la réorganisation de la colonie, n’eut pas le temps de s’en occuper.


En somme, le bref gouvernement de Grandfontaine en Acadie fut constructif. Mais son action fut entravée par de graves désaccords avec son lieutenant Pierre Joybert de Marson, qui porta plainte contre lui. Colbert de Terron l’accusa, par ailleurs, d’être intéressé. Grandfontaine ne recevait en effet que de faibles appointements : 1 200ª en 1670 et 2 400 l’année suivante. Il est possible qu’il ait fait du commerce pour augmenter ses revenus et satisfaire aux devoirs de sa charge. On sait par exemple qu’en 1672, la famine sévit à Pentagouet et que le gouverneur dut envoyer des hommes hiverner à Port-Royal.

Rappelé le 5 mai 1673 et remplacé par Chambly, Grandfontaine rentra en France en décembre de la même année. Peu après, il présenta à l’intendant de Rochefort une réclamation de 13 000ª pour des dépenses de service en Acadie. Terron, tout en admettant que Grandfontaine n’avait reçu des fonds de Rochefort que pour deux ans et avait fait subsister la colonie pendant 36 mois, refusa de le rembourser, mais proposa au roi de lui accorder un poste dans la marine, en guise de consolation.

L’ex-gouverneur obtint donc un emploi à Rochefort, devint lieutenant, puis capitaine de vaisseau. Il servit sur l’Intrépide en 1675 et prit part à l’expédition de Cayenne sur le Glorieux en 1676. Il s’y comporta avec bravoure, entra le premier dans la place et fut blessé au bras. L’année suivante, il participa à l’expédition de Tobago contre les Hollandais et se cassa un bras dont il ne put se servir le reste de sa vie. Il demeura ensuite à Brest et reçut une pension annuelle de 800ª. Inclus dans la première promotion de chevaliers de Saint-Louis en 1693, il mourut à Brest le 6 juillet 1696 sans laisser de descendance.

René Baudry


Source :
AE, Mém. et doc., Amérique, 5, f.277.— Archives de la Mayenne (Laval), B, 2 278–3 291, passim.— AN, Col., B, 2, f.571 ; 3, ff.19, 41, 55 ; C11D, 1, ff.12, 139 ; 2, f.7 ; Marine, B2, 10, f.38.— BN, MSS, Clairambault 866, ff.326, 363 ; 1306, f.153 ; Mélanges Colbert 167, ff.92, 186 ; 175, f.392 ; 176, ff. 85, 103 ; MSS, Fr. 26 541, 31 233, 31 567.— Correspondance de Talon, RAPQ, 1930–31.— Mémoires des commissaires, I : xxi ; II : 316–323, 325s. ; IV : 288s., 291, 303–305 ; Memorials of the English and French commissaries, I : 24, 604–610 et passim.— BRH, XXIII (1917) : 57s.— Murdoch, History of Nova-Scotia, 145–153.— Régis Roy et Malchelosse, Le Régiment de Carignan.
© 2000 Université Laval/University of Toronto

Source document : (corrigé de l'original)
Dictionnaire biographique du Canada en ligne, Bibliothèque nationale du Canada et archives nationales du Canada


Dernière mise à jour : ( 22-02-2009 )
 
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