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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Éparpillement des Acadiens (1755-1761) Version imprimable

 

Nous avons vu dans l'introduction que l'Angleterre avait décidé de «britanniser» sa colonie de la Nouvelle-Écosse en 1749. La Guerre de Sept Ans (1756-1763), que des auteurs américains nomment aussi «The French and Indian War», devait accélérer le processus de cette «britannisation». La guerre, dont les origines sont plutôt nord-américaines qu'européennes, permit à l'Angleterre, après des échecs initiaux (1756-1758), de se substituer finalement à la France dans toute l'Amérique septentrionale. Dans arégion des provinces Maritimes, la France gardait encore le Cap-Breton, appelé alors île Royale, et l'Île du Prince-Édouard, désignée alors comme île Saint-Jean. La chute de Louisbourg en 1758 scella le sort de ces deux possessions françaises.


Mais deux ans avant la déclaration formelle de la guerre, Anglais et Français avaient commencé à s'affronter. L'Ohio avait d'abord servi de théâtre militaire en 1754. Craignant d'être prises dans un étau, les autorités anglaises dépêchèrent en 1755 le colonel Monckton pour attaquer le fort Beauséjour qui tomba en juin 1755. Les événements devaient se précipiter par la suite: après la chute du dit fort Beauséjour, les autorités anglaises entreprirent de déporter toute la population de la Nouvelle-Écosse péninsulaire. Cinq à six mille Acadiens devaient ainsi être déracinés. La population de Louisbourg, composée d'environ 2,000 habitants, fut rapatriée en France, comme ce fut le cas de celle de l'Île Saint-Jean, ces deux colonies étant encore possessions françaises au plan légal. Dans le cas de l'île Saint-Jean toutefois, cette colonie comprenait, en plus des quelques centaines de colons qui s'y étaient établis depuis quelques années, près de 5,000 réfugiés acadiens qui avaient réussi à se soustraire aux recherches des troupes de Lawrence en Nouvelle-Écosse. La plupart seront rapatriés en France, mais une bonne partie aboutira dans les prisons de l'Angleterre.


On a beaucoup disserté, non sans faire appel aux sentiments, pour tenter établir à qui incombait la responsabilité de la Déportation. Les uns y ont vu l'œuvre de Lawrence seul, d'autres ont insisté sur le rôle-clé de la Nouvelle-Angleterre, d'autres enfin ont plutôt mis en lumière la politique de Londres.

À une époque où le droit des gens et des nationalités comptait pour bien peu, il faut plutôt insérer la question acadienne, comme l'a écrit Guy Frégault, dans le cadre de deux Empires, l'un français et l'autre anglais, qui poursuivaient la même politique (la colonisation de l'Amérique du Nord), à la même époque avec les mêmes moyens. Même la France ne répugnait pas à l'idée de la Déportation: dans son projet avorté de la conquête du New York en 1689, la France prévoyait déporter une partie des colons; de même en 1746 et en 1751 des officiers français avaient reçu l'ordre de déporter les Acadiens qui refuseraient d'embrasser la cause française. Il est vrai qu'aucune déportation ne fut exécutée, mais ces directives de la France à ses représentants illustrent bien la mentalité du temps.


En ce qui concerne l'Angleterre et la déportation des Acadiens, les journaux de l'époque, tel le London Magazine en 1749, mentionnaient de temps à autre la déportation comme solution éventuelle. La correspondance entre le «Board of Trade» et les autorités de Halifax renferment également d'assez fréquentes références à cette solution extrême, avant même qu'on y recoure. De sorte que Lawrence, lorsqu'il se résolut enfin à chasser les Acadiens de l'Acadie, n'avait certes pas peur d'un blâme de l'Angleterre. Les événements devaient lui donner raison sur ce point: mise au courant de l'initiative de Lawrence, l'Angleterre ne fit rien pour l'en dissuader et les déportations se poursuivirent jusqu'en 1761. Quant à Lawrence lui-même, il fut promu au grade de Gouverneur en 1756. Le Gouverneur-général de la Nouvelle-France, Vaudreuil-Cavagnal, essaiera en 1760 de faire stopper les déportations: lorsqu'il soumit ses conditions de capitulation au général Jeffrey Amherst, il demanda qu’«aucun Canadien, Acadien, ni Français... ne puisse être déporté, ni transmigrer dans les colonies anglaises...». Le général anglais écrira dans la marge «Accordé, excepté à l'égard des Acadiens».

Les Acadiens déportés aux États-Unis ne furent pas toujours bien accueillis. En effet, les autorités coloniales américaines, pour la plupart, n'avaient pas été consultées quant à l'arrivée des Acadiens. Mal organisée, la Déportation représentait surtout pour une charge fiscale supplémentaire aux yeux des colons américains. De plus, l'arrivée de Français et de catholiques, dans des colonies farouchement protestantes, brisait une homogénéité religieuse que l'on avait établie parfois avec peine. Ainsi en 1762, cinq goélettes avec 1500 Acadiens en route vers Boston durent revenir à Halifax à cause du refus du Massachusetts de les accepter. Dans de nombreux cas, les Acadiens restaient sur les bateaux ancrés dans les ports, en proie à la faim et aux maladies pendant des semaines et des mois. Toutefois, le Maryland se montra plus accueillant que les autres: cette colonie protestante se souvenait sans doute que jadis elle avait été fondée pour et par des immigrants catholiques britanniques. Au total, environ 6000 Acadiens furent déportés dans les colonies américaines.


Un deuxième groupe d'Acadiens fut tout simplement gardé prisonnier à Halifax. On les employa à fortifier la capitale contre les attaques françaises pendant qu'un autre groupe était amené prisonnier en Grande-Bretagne. Situation pénible que ces prisonniers en Angleterre. Mal nourri, mal soigné dans des prisons humides et froides, un bon nombre y mourut. Dans la prison de Bristol par exemple, 184 Acadiens sur 300 n'en sortirent pas vivants. À la fin des hostilités, ces Acadiens prisonniers en Angleterre seront rapatriés en France; certains s'établiront à Belle-Île en Mer (Bretagne) et d'autres tenteront de fonder une colonie dans le Poitou. Cette dernière sera vaine parce que la plupart des Acadiens préférèrent se diriger vers la Louisiane.

Un troisième groupe d'Acadiens réussit à échapper à la déportation. Certains s'enfuirent dans les forêts du Nouveau-Brunswick actuel où, pendant un certain temps, ils menèrent tant bien que mal une guérilla inefficace contre les soldats anglais, spécialement dans la région de la rivière Miramichi et de la baie des Chaleurs. D'ailleurs, c'est dans la baie des Chaleurs que fut tiré le dernier coup de canon de la France pour la conservation de son Empire en Amérique. D'autres se réfugièrent à la rivière Saint-Jean près de Sainte-Anne notamment (aujourd'hui appelé Fredericton), mais les troupes de Monckton les en délogèrent et ils durent pousser plus loin au nord vers le Québec actuel. Les registres de baptême témoignent du passage de ces familles qui cherchaient un lieu sûr dans une Nouvelle-France elle-même déchirée par la guerre.

Est-ce une « déportation » ou un « génocide »? Je vous invite à lire le Manifeste Beaubassin qui nous procure des arguments de taille suggérant un génocide (dans le sens de nettoyage ethnique)...

 

 

 

 

 



Source :

Petit manuel d'histoire d'Acadie, de1755 à 1767, Librairie Acadienne, Université de Moncton, Léon Thériault, 1976


Dernière mise à jour : ( 27-09-2008 )
 
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