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L'histoire acadienne, au bout des doigts

Geneviève Massignon Version imprimable

GENEVIÈVE MASSIGNON (1921 - 1966)

Par ses enquêtes linguistiques et ethnographiques chez nous, par ses écrits, Geneviève Massignon est devenue un personnage historique pour les Acadiens. On connaît bien son œuvre importante « Les parlers français d'Acadie », mais peut-être moins bien l'auteur lui-même...

Photo de Geneviève Massignon Geneviève Massignon est née à Paris le 27 avril 1921. Son père Louis Massignon, fut membre du Comité de France-Acadie durant les vingt-cinq dernières années de sa vie. Érudit extraordinaire, il fut un célèbre professeur de sociologie musulmane au Collège de France. Il travailla toute sa vie au rapprochement entre musulmans et chrétiens. En reconnaissance de son apostolat dans ce sens, Rome lui accorda la faveur exceptionnelle d'être ordonné prêtre même du vivant de son épouse.

Geneviève avait de qui tenir. Très intelligente, une autorité en linguistique et en ethnographie, elle demeura toujours humble et douce, apparemment timide, toujours respectueuse des autres, donc très sympathique.

Licenciée ès lettres en 1941, Mlle Massignon suivit pendant deux ans des cours de langues chinoise et japonaise à l'École des langues orientales de Paris. Ensuite, elle se dirigea vers des études de linguistique et d'ethnographie auxquelles elle a consacré ses activités le reste de sa vie. Elle y eut comme professeurs Albert Dauzat et Charles Bruneau qui l'orientèrent dans ses recherches subséquentes.

En 1945, elle fut chargée par le Centre national de la Recherche scientifique de préparer l'Atlas linguistique de l'Ouest de la France, entre la Loire et la Gironde, le pays d'origine des Acadiens. Elle y recueillit plus de 3,500 mots différents pour cet Atlas, ainsi que des chansons traditionnelles et des contes qu'elle a publiés sous le titre Contes de l'Ouest, Brière, Vendée, Angoumois.

Signature de Geneviève MassignonElle fit de nombreuses enquêtes du même genre en Bretagne et en Corse avec comme résultat les publications suivantes: Contes traditionnels des teilleurs de lin du Trégor (Basse-Bretagne) et Contes corses' et une contribution importante à l'Atlas linguistique de la Méditerranée.

Son frère aîné Yves-Louis-Fernand était déjà venu en Acadie, plus précisément au Madawaska, mener des études en géographie humaine et avait publié un article sur le sujet, intitulé : « Au Canada. La haute vallée de Saint-Jean (Madawaska) et l'avenir franco-américain ».

Encouragée par les études de son frère et par son professeur Charles Bruneau, après son enquête terminée au sud de la Loire, Mlle Massignon décida de s'intéresser aux Acadiens. Ayant obtenu une bourse des Relations culturelles du ministère des Affaires étrangères de France, elle vint aux provinces Maritimes pendant sept mois en 1946 mener des enquêtes linguistiques et ethnographiques chez les Acadiens.

Avec un petit baluchon de linge et un magnétophone, elle parcourut en bicyclette toutes les paroisses rurales acadiennes, de la Gaspésie, du Madawaska à l'île Lamèque, de Shippagan à Memramcook, de la Nouvelle-Ecosse, de l'île du Cap-Breton, de l'île du Prince-Edouard, des îles de la Madeleine et même des petites Cadies du Québec. En Acadie, il s'est même créé des légendes sur son compte. Dans certaines régions, on l'a prise pour une espionne; ailleurs pour une Française à la recherche de son mari disparu durant la guerre. Mais, grâce à sa grande simplicité et à sa gentillesse, elle s'était fait surtout beaucoup d'amis et de collaborateurs dévoués.

Il sera sans doute intéressant de connaître les impressions et les sentiments que Mlle Massignon gardait de son séjour en Acadie et qu'elle exprimait dans une émission radiophonique en 1963:

D'abord l'accueil: « Partout, l'accueil des Acadiens m'a beaucoup touchée, dit-elle. Logeant la plupart du temps dans les foyers de mes informateurs, j'ai pu apprécier aussi l'hospitalité et le grand cœur des familles acadiennes ».

Le folklore est encore vivant en 1946, alors que les moyens de communication, la télévision qui n'existait pas et même la radio n'avaient pas tellement perturbé la vie sociale des Acadiens. « Le folklore, notamment, m'a paru imprégner toute la vie locale, dit-elle. Les veillées entre voisins, dans les villages de la campagne, où résonnent les contes merveilleux et les chansons joyeuses, ont une atmosphère inoubliable pour une Française. On retrouve là la meilleure sève de nos traditions orales des diverses provinces, surtout de l'ouest de la France ».

Quant au parler acadien lui-même, voici ce qu'elle en dit : « Je suis arrivé en Acadie après avoir visité Montréal et Québec, et j'ai été agréablement surprise par l'accent chantant des Acadiens, plus lents et plus modulés, et par là, plus facile à saisir que l'accent des deux grandes villes canadiennes-françaises, un peu plus précipité, aux élisions parfois inattendues ».

Les Acadiens « parlaient la vieille langue si riche et si drue de Rabelais et de Montaigne. Ils avaient aussi amené avec eux des expressions savoureuses... Que de traits vigoureux et spontanés à la fois servent à exprimer les circonstances les plus diverses de leur existence ». Et dans son volume Les parlers français d'Acadie: « A mes yeux, le parler acadien, comme d'ailleurs le parler canadien, sont des témoignages vivants d'une merveilleuse adaptation à un Nouveau Monde ».


En 1947, elle poursuivit les mêmes recherches chez les Acadiens de la Louisiane, mais y consacra moins de temps. Invitée par le Conseil des Arts du Canada, elle revint en Acadie en 1961 compléter ses enquêtes en vue de sa thèse de doctorat.

En effet, les notes et les enregistrements pris au cours de ses enquêtes lui ont servi de matériaux pour sa thèse de doctorat ès lettres soutenue à Paris en mai 1962. Le sujet de sa thèse principale fut « Les parlers français d'Acadie» et celui de sa thèse complémentaire « La chanson populaire française en Acadie ».

Sa thèse « Les parlers français d'Acadie» avait été préparée avec immensément de soins et fut publiée cette même année (1962) en deux tomes ». C'est l'œuvre magistrale de Geneviève Massignon. Cet ouvrage de 975 pages constitue une mine de renseignements sur l'origine des Acadiens d'abord, leur histoire, leur mentalité, leur culture, leurs us et coutumes. Mais, il est surtout une étude du parler acadien, de vocabulaire. « Mlle Massignon étudie 1,941 concepts. . . Pour chaque concept, elle donne les mots utilisés en Acadie, leur prononciation, leur origine, leur évolution et les variantes selon l'endroit où on les utilise » (Jean Hubert).

On peut sans doute, comme certains l'ont fait, relever quelques détails historiques inexacts (je dis bien « détails » ) dans ses 85 pages d'introduction. Mais tous admettent que même en histoire, surtout en ce qui concerne l'origine de certains Acadiens, elle a apporté du nouveau, grâce à ses patientes recherches dans les registres paroissiaux et les archives de la région du sud-ouest de la Loire en France. « On ne peut mieux saisir l'affiliation du parler acadien, disait-elle dans une émission radiophonique13, qu'en l'étudiant de pair avec l'origine et l'implantation des colons français qui ont été installés dans l'Acadie primitive ». Et n'oublions pas que cette œuvre est surtout une étude linguistique du parler acadien, et à ce point de vue, la critique est unanime dans ses louanges. Mais le plus bel éloge, et sans doute le plus autorisé, est celui de Victor Barbeau, alors président de l'Académie canadienne-française, qui écrit:

« ... À travers toute l'Acadie, on parle français, on chante, on prie en français. Un français authentique, savoureux, imagé, mais, on le devine, quelque peu archaïque. Ne .serait.-ce pas du patois? Les illettrés qui n'y entendent rien inclinent volontiers à le croire. Si la question a pu se poser, elle est maintenant réglée à jamais. Une Française d'une grande science s'en est chargée. « LES PARLERS FRANÇAIS D'ACADIE » de Geneviève Massignon sont, sans contredit, l'étude lu plus fouillée, la plus documentée et la plus objective qui ait jamais été consacrée à la survivance du français en Acadie. Après être remontée aux origines des Acadiens et après avoir tracé l'histoire de leurs différents peuplements, l'auteur aborde son enquête linguistique et traite du vocabulaire en fonction de la géographie, du climat, de la nature, des travaux agricoles, des travaux domestiques, de la vie affective, des coutumes, etc. L'inventaire est complet, détaillé et minutieux. De là, Geneviève Massignon passe à la confrontation des parlers d'Acadie avec les parlers de France. Leur parenté est indéniable. Que de patientes recherches, que de connaissances, que de méthode il a. fallu pour l'établir d'une façon aussi rigoureuse, d'une façon définitive. L'ouvrage de Geneviève Massignon est mieux qu'un ouvrage savant, sinon pour les linguistes du moins pour les anciens Français que nous sommes. C'est un chaleureux hommage rendu à la fidélité des Acadiens, la consécration en quelque sorte de leur langue maternelle ».

L'Académie canadienne-française avait décerné sa médaille d'or à Mlle Massignon en 1962 pour son œuvre sur l'Acadie, la première fois à une personne de l'extérieur du Canada.

Geneviève Massignon était membre de plusieurs sociétés savantes, en particulier de la Société française de linguistique et de la Société d'ethnographie française. Elle a donné de nombreuses conférences et participé à des congrès nationaux et internationaux de linguistique et de folklore.

Elle a publié une cinquantaine d'articles de recherches linguistique ou ethnographique dans des revues spécialisées, françaises ou étrangères". Voici la liste de ceux que nous connaissons qui concernent l'Acadie:
  • l'Atlas linguistique de l'Ouest de la France, entre la Loire et la Gironde
  • Contes de l'Ouest, Brière, Vendée, Angoumois
  • Les parlers français d'Acadie, en deux tomes (1962)
  • Le traitement des voyelles nasales finales dans les parlers français du sud de la Nouvel le-Écosse
  • À propos d'emberlificoter
  • La seigneurie de Charles de Menou d'Aulnay, gouverneur de l'Acadie 1635-1650
  • Les Trahan d'Acadie
  • Les noms de familles d'Acadie

Geneviève Massignon s'était attachée aux Acadiens. Elle s'efforçait de les faire connaître en France et à y promouvoir leurs intérêts. A cette fin, elle prononça plusieurs conférences sur l'Acadie, à l'Institut Catholique de Paris, à Nantes, à Verneuil en Normandie, à Amiens, etc. Elle avait plusieurs amis chez nous avec qui elle correspondait. Elle était heureuse de rencontrer et de recevoir chez elle ceux qui se rendaient à Paris.

Elle se réjouissait à l'avance de rencontrer la nombreuse délégation d'Acadiens qui arrivait en France au début de juin 1966 pour participer aux fêtes du bicentenaire de l'installation des Acadiens à Belle-lie-en-Mer. Malheureusement, la première nouvelle que cette délégation reçut en arrivant à Belle-Ile le 6 juin, c'est que Mlle Massignon venait de mourir subitement d'une crise cardiaque le matin même.

Geneviève Massignon n'est plus , mais, son œuvre, surtout Les parlers français d'Acadie, demeure pour les Acadiens le plus beau monument à sa mémoire et pour lequel ils lui doivent une profonde reconnaissance.

Père Anselme Chiasson, o.f.m. cap.
Moncton, N.-B.







Sources
Atlas linguistique et ethnographique de l’ouest (Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumoois), B. Horiot, Paris, CNRS; 1971 (posthume).
Ed. Erasme, Paris 1954,372 pages.
Picard, Paris 1965. 252 pages
Pubhcal'on des Annales de la Faculte des Lettres d'Ais en Provence, Ed, Ophrys, Cap 1963.
Vocabulaires maritimes de la Corse publlcalioe en Italie Atlante linguistico Mediterraneo. Fondation Gorgio Cini. VeneZ,a
C. P. Malsonneuve, Paris 1943, 12 pages. Extrait du Bulletin de la Societe de Geographie de Lille, déc. 1935 no VIII. p. 293-300.
Emissitn -Documents' de Radio-Canada a MDnclcr). les 3, 10, 17 et 24 mars 1963 Centre d éludes acadiennes, Un,versdé de Monclon Fonds Baudry CEA 555-1-1
Les parlers français d'Acadie. introduction à l'étude du vocabulaire, tome l, p. 104,
Mlle Messignon avait recueilli 1200 chansons traditionnelles lors de ses enquèles en Acadie Ces chansons, comme les papiers et les enregistrements de Mlle Massignon auraient été obtenus, après le décès de celle-c,, par les Archives de Folklare de l'université Laval.
Les parlers français d'Acadie, enquête linguistique, Librairie C Khncksieck, Paris 1962, 2 tomes, 975 pages_
L'Evengêline, 8 déc 1962
Jean Hubert, lois cil Père René Baudry c.s.c. dans une critique litteraire, CEA 20-16-1 (A-t-elle Été pLÀbIiée?)
Aspects de la France, Paris, 13 déc 1962 Reproduit dans L'Evangéllne le 29 janvier 1963.
Notice biographique, preparee par la famille après le deces de Mlle Massignon.
Librairie C. Klinckieck. Paris 1949. Extrait du Bulletin de la Société de linguistique, Paris 1949. t. 455 no 130, p. 128-134.
Edition d'Artrey. Paris 1949. Extrait des Mélanges de linguistiques offerts a Albert Dauzaut, p. 209-213.
Revue d'histoire de l'Amérique française, Montréal, vol. 16. mars 1963. p. 469-501.
Les Cahiers de la Société historique acadienne, Cahier 5. 1964, p. 10-23.
Ibld. Cahier 7, 1965, p. 5-20.
Photo
Collection, Centre d'études acadiennes PA 1-2089


Dernière mise à jour : ( 08-11-2008 )
 
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