L'hiver fatal passé sur l'île Sainte-Croix força de Monts à chercher ailleurs un gîte plus hospitalier. Il ne voulut rien faire, cependant, avant le retour de Gravé Du Pont, qui s'était rendu en France à l'automne pour aller chercher des provisions. À son retour à la mi-juin (1605), de Monts, accompagné par Champlain et un certain nombre d'hommes, partit en quête d'un lieu plus convenable à la colonisation. S'étant rendu jusqu'au Cap Cod, il revint à l'île Sainte-Croix au début d'août, sans avoir trouvé ce qu'il cherchait. C'est alors qu'il se dit qu'il ne pourrait trouver mieux que Port-Royal comme lieu d'établissement. Voilà pourquoi, avec l'aide des 40 hommes que Gravé Du Pont avait amenés pour assurer la relève, on se mit à démolir les maisons érigées l'été précédent sur l'île et on transporta les matériaux par bateau à Port-Royal, où le tout fut reconstruit sur un plan semblable à celui que l'on avait suivi à l'île Sainte-Croix. Puis on s'y installa.
Au mois de septembre, de Monts, qui avait appris que son monopole était menacé, partit pour la France, amenant avec lui la plupart des survivants de l'hiver précédent. Il ne devait plus revoir l'Acadie ni la Nouvelle-France, quoiqu'il continua à s'y intéresser et à exploiter ses richesses, les fourrures en particulier. À son départ, il avait laissé la direction de la colonie naissante à Gravé Du Pont. L'hiver qui suivit (1605-1606), quoique moins désastreux que le précédent, vit cependant 12 hommes périr du scorbut et laissa Gravé Du Pont dans un état morbide.
L'été de 1606 devait apporter un certain réconfort à la colonie éprouvée, quoique l'on crut pour un temps devoir rentrer en France. De Monts, lors de son départ, avait promis d'envoyer du ravitaillement à Port-Royal. Mais à la mi-juillet, les vaisseaux n'étaient pas encore arrivés. Gravé Du Pont décida de plier bagages et de se rendre soit au Cap-Breton, soit à Gaspé afin d'y chercher moyen de retourner en France avec tout son monde, à l'exception de deux hommes qui s'étaient offerts pour assurer la garde de Port-Royal sous la protection de Membertou, chef des Micmacs. Arrivés aux environs du cap Sable, ils y rencontrèrent le secrétaire de De Monts qui se dirigeait vers Port-Royal pour leur annoncer que, envoyé en France par de Monts à l'automne de 1604 avec Gravé Du Pont, il revenait avec des provisions. Le hasard de la navigation l'avait retardé en route, de sorte qu'il prit presque deux mois et demi à faire la traversée. Il amenait en Acadie une cinquantaine d'artisans, ainsi que l'apothicaire Louis Hébert, l'avocat Marc Lescarbot et son propre fils et Charles de Biencourt (fils de Jean). Il y venait avec le titre de lieutenant-gouverneur de l'Acadie.
Port-Royal reprit vie, grâce surtout à l'optimisme de Lescarbot, devenu le boute-en-train de la colonie. Pendant que Poutrincourt, accompagné de Champlain, refaisait le voyage entrepris un an plus tôt par de Monts et se rendait jusqu'aux abords du détroit de Nantucket dans le but d'y chercher encore un emplacement plus propice à un établissement, Lescarbot et Louis Hébert mettaient tout le monde à l'oeuvre, labourant, piochant, cultivant. L'hiver devait se passer assez agréablement. Lescarbot organisa des choeurs de chant, fit même jouer une pièce de théâtre, intitulée "Le Théâtre de Neptune", qui fut la première représentation théâtrale en terre d'Amérique. Champlain, pour sa part, fondait l'Ordre du Bon Temps, d'après lequel chaque homme, à tour de rôle, devait garnir la table avec le produit de sa chasse ou de sa pêche.
Pendant qu'à Port-Royal on commençait à prendre espoir dans le succès de la colonisation acadienne, en France les choses se gâtaient. Gravé Du Pont, qui s'en était retourné avant que la troupe amenée en Acadie par Poutrincourt n'eut pu se mettre à l'oeuvre, fit à de Monts un tableau peu rassurant de la situation en terre d'Acadie. D'autre part, celui-ci, dont l'aide financière constituait le soutien de la colonie, vit se dissoudre la compagnie qu'il avait organisée pour la traite, ce qui l'obligea à envoyer un messager à Port-Royal pour dire qu'il ne pouvait plus soutenir la colonie. Poutrincourt, Champlain et leurs compagnons, se voyant contraints de laisser Port-Royal à la garde de Membertou, s'embarquèrent le 11 août 1607 pour la France.
source: Petit manuel d'histoire d'Acadie - Des débuts à 1670, La Librairie Acadienne, Université de Moncton, Rev. Clarence-J. d'Entremont ,1976
|