De 1713 à 1744, la population française de la Nouvelle-Écosse connut les bienfaits de la paix. Pour la première fois depuis le début du 17e siècle, les Acadiens connurent une aussi longue période de tranquillité. Cette période de calme fut bénéfique pour le groupe qui connut une croissance démographique phénoménale grâce à un taux de natalité exceptionnel. Les chiffres sont éloquents. La population française de la Nouvelle-Écosse quadrupla en 40 ans ce qui place le taux de fécondité acadien parmi les plus élevés de l'époque.
Cette croissance rapide de la population n'était pas sans causer des problèmes. Un de ceux-ci était la nécessité de mettre en culture des terres nouvelles. Malgré l'interdiction d'expansion promulguée par les autorités anglaises à partir de 1730, les Acadiens développèrent des terres dans leurs villages respectifs qui, jusque-là, avaient été improductives. Dans la région de Beaubassin, plusieurs habitants s'établirent le long de la rivière Memramcook et Petitcodiac, ainsi qu'à l'ouest dans la région de Chipoudie.
Ces nouvelles terres occupées par les Acadiens avaient été arpentées et réservées pour une éventuelle immigration anglaise. De plus, durant les années 1730, le gouvernement d'Annapolis avait fait établir un cadastre officiel des terres possédées par les Acadiens et considéra que le régime seigneurial français était disparu à tout jamais lorsqu'il racheta les droits seigneuriaux d'une descendante de la famille des La Tour. On peut facilement s'imaginer le mécontentement des Anglais suite à l'occupation des nouvelles terres par les Acadiens qu'on n'osa pas déloger. Cependant, on tenta d'exiger d'eux le paiement de taxes pour défrayer les frais d'administration. Les Acadiens utilisèrent toutes sortes de prétextes et ne payèrent que très peu de taxes. Les autorités anglaises avouèrent n'avoir reçu que 30 livres sterling en 1732 et seulement 15 livres en 1745. L'échec de la politique anglaise de taxation et d'occupation des terres démontre que les Acadiens vécurent en marge de l'autorité anglaise.
En fait, ces derniers eurent bien peu de contacts avec l'administration, préférant utiliser leurs propres ressources pour résoudre toutes sortes de problèmes : limites de terrain, vol de bétail, assaut, etc. Organisé d'une façon autarcique et autonome, le groupe acadien préférait trouver chez lui la solution à diverses questions. Le prêtre ou le patriarche du village, personnes jouissant soit d'une expérience ou d'une instruction au-dessus de la moyenne, jouèrent un rôle de suppléance, la population préférant s'en remettre à eux pour régler ses différends. On peut ainsi dire que les Acadiens édifièrent un système de gouvernement parallèle à celui mis sur pied par les Anglais.
La présence de l'Église catholique en Nouvelle-Écosse était basée sur une contradiction. Si le traité d'Utrecht garantissait le libre exercice de la religion catholique «en autant que le permettaient les lois de la Grande-Bretagne», on remarque que les lois anglaises ne toléraient d'aucune façon la liberté de pratiquer la religion catholique, mais au contraire, elles l'interdisaient ou en rendaient l'exercice difficile à tout le moins. Fort heureusement, une interprétation large, faisant exception aux usages de l'époque, fit qu'on ne chercha pas à limiter la liberté religieuse des Acadiens.
Cette politique de tolérance permit à l'Église catholique d'être présente auprès de la population française et indienne. Les Anglais acceptèrent que l'Église de France dote la Nouvelle-Écosse en religieux d'une façon régulière, même si à l'occasion, on s'inquiétait de l'activité militante de certains d'eux. Le séminaire des Missions Étrangères de Paris envoya des missionnaires chez les Indiens qui eurent une influence marquante : l'abbé Maillard chez les Micmacs de la Nouvelle-Écosse perfectionna un alphabet micmac, l'abbé Rasles sur la rivière Kennebec fut capable de maintenir les Abénaquis sous l'influence française tandis que l'abbé Le Loutre à Beaubassin jouissait d'une grande autorité auprès des Indiens et des Acadiens de la région. Assez souvent, les Anglais se plaignirent des missionnaires qui, selon eux, étaient des agents provocateurs en attisant des sentiments anti-anglais chez les Indiens; ils accusaient le clergé de pratiquer plus l'épée que la croix.
Même si les missionnaires jouirent d'une certaine autorité auprès des Indiens, ils furent incapables d'avoir une autorité absolue parce que ni les Micmacs, ni les Abénaquis ne permettaient à leurs chefs d'exercer une autorité absolue. Tout ce qu'ils pouvaient demander c'était d'être estimé comme un de leurs chefs. Dans la plupart des cas, les missionnaires réussirent à se faire accepter par les Indiens et prirent à coeur la défense de leurs intérêts. La jalousie des officiers français de Louisbourg et de Beauséjour quant au prestige et à l'ascendant des missionnaires auprès des Indiens, ainsi que la crainte des officiers anglais d'Annapolis Royal quant au rôle para-militaire joué par certains missionnaires, témoignent de l'importance de l'influence religieuse dans les affaires de la Nouvelle-Écosse.
Source :
Petit manuel d'histoire d'Acadie, de1670 à 1755, Librairie Acadienne, Université de Moncton, Jean Daigle, 1976
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